Un Regard pour la Deuxième

Mâcher, savourer, rogner, digérer. La création de notre spectacle sur voilier pourrait bien s’apparenter à un long festin… Cette fois-ci, sous l’oeil avisé du Regard Artistique Philippe Ducou qui a tout nouvellement rejoint l’aventure, nous avons croqué la narration, mâchouillé la matière et absorbé l’essentiel. Le dessert de cette nouvelle étape : la Deuxième représentation du spectacle, à Sainte Maxime, pour les Journées du Patrimoine.

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« On va vivre une traversée, un acte après l'autre »

Inspiration... expiration dans le ventre de notre bateau-scène.

« On est généreuses, on est ensemble »

Dehors, nous en sommes aux derniers mots qui nous présentent au public, rassemblé sur le quai d'accueil de la ville de Sainte Maxime. Applaudissements sur la Cote d'Azur, comme un désir de découvrir notre aventure. Federica scénographe est aux manettes du son ; Rémi, Coline et Chloé, bénévoles sur l'événement, peuvent enfin s'assoir.

« Ah... J'aime tant la mer ! » C'est donc parti... ! Notre traversée commence.

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« Et surtout, amusez vous ! »

Ce sont les derniers mots de Philippe Ducou avant le dernier filage. Sur l'Ile des Embiez, demain, c'est le grand départ vers Sainte Maxime et la journée du Patrimoine.

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Philippe, danseur-interprète et chorégraphe, a rejoint l'équipage de la Cie, et l'Ile du Ricard. Nous avons fait appel à lui pour accompagner une nouvelle étape de l'aventure d' « Entre deux Rives », celle qui nous amène à consolider la structure, se débarrasser de l'inutile, et approfondir l'essentiel. Une semaine top chrono, pour commencer...

C'est parti !
À la table, plongeon dans la matière.

« Il faut avoir confiance dans votre troisième partenaire. Plus le Bateau parlera, moins vous aurez à parler dans vos actes, aujourd'hui bien trop bavards. Il ne faut pas que vous portiez la narration dans vos actes. La joie du départ, c'est le bateau qui la porte, pas vous. »

Philippe nous fait part de ses réflexions à la vue des vidéos que nous lui avons envoyées, et de notre rendez-vous préparatoire à Paris. Il enchaine :

« Devenir des femmes, il faut que vous deveniez des femmes, et non pas que vous restiez d'un bout à l'autre ces deux deux jeunes adolescentes. Il faut grandir, éclore ».

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Et encore :

« Je sens bien qu'il y a quelque chose à assumer plus, aller plus loin, de l'ordre de la transmission et du voyage intérieur. C'est une matière intime, une histoire qui vous est propre, où votre père est évidemment présent ».

Nous comprenons : « plus on assumera cette histoire, plus on pourra nous en détacher, et partager »

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Au plateau !

« Pour la première scène, la base est naturaliste, c'est clair. Et il faut en sortir, pour délirer totalement, et trouver l'état. Du plus, du plus, et encore du plus ! » Des objets de toutes sortes s'échappent des hublots.

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« On part de quelque chose de concret pour aller vers la poésie, et on peut aller toujours plus loin sur ce chemin ».

Les heures, les jours filent et s'enchainent.

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Flore prend ses balles. « Ton corps est au service de tes balles, et pas l'inverse. »

On pioche, on bine, on rame.

« Ne cherchez à faire les mêmes choses, cherchez à vous différencier. Sinon vous n'êtes pas « ensemble » mais « semblables ». Et c'est ennuyeux »

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« Les transitions font partie du spectacle : elles invitent soit à rester dans l'état, le savourer, soit elles sont initiatrices de ce qu'il va se passer ».

Premier filage, deuxième...

« Evitez d'enchainer les mouvements ! Il faut savoir les séparer, sinon c'est de la récitation ».

On mastique, on modèle.

« Raconte toi ce que tu veux à ce moment là, mais raconte toi quelque chose ! »

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On polit, on coupe, on nettoie

« Prend contact physiquement avec l'objet avant de le prendre ».

« Sur scène il n'y a pas de problème, que des situations à gérer ».

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On creuse, on lit

« Dans ton saxo, plus de souffle ! »

« Pour les manip techniques, faites en une matière, intégrez les. Mais faites uniquement ce qui est nécessaire. Cherchez l'efficacité. Pour ça, il faut se bouffer de la technique... »

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Entre chaque filage, les notes. Des choses comprises, d'autres à digérer, peut être même dans plusieurs mois... « Je pose mon pied gauche sur le mât, je prends le verre, puis l'assiette, que je repose de la main droite... », « prendre le temps d'être penaude », « trouver le calme avant de jouer, autant de temps que nécessaire », « le rythme, c'est mettre en œuvre les états de corps », « la technique : ne pas montrer ou montrer vraiment »... Précision précision précision...

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« De la grâce s'il vous plait ! »

3eme filage... « On ne dialogue pas avec un vêtement. On l'enfile. Le corps est au service du vêtement pour qu'il dialogue avec l'espace. Alors enfile tes gants plus vite ! »

4eme et dernier filage

« Ca y'est, vous méritez la musique... Federica, tu peux envoyer ! »

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Tout faire ou ne pas tout faire ? Telle est une grande question...

Entre mille petites et grandes choses à régler, construire et peaufiner sur la scénographie, Federica s'occupe aussi du son. Une semaine, en lien intensif avec Marie Doyeux qui elle aussi peaufine sa bande sonore, pour parvenir aux fins de cette étape de travail. Les heures sont courtes...

« Fanny, Flore, le son ne vous regarde pas. Toute l'énergie que tu mets à gérer ce dossier, tu ne la mets pas sur le plateau, et c'est pourtant là qu'on t'attend ».

Nous qui avons l'habitude de nous investir sur tous les pans de la création, cette invitation nous bouleverse, en même temps qu'elle nous libère et nous permet, c'est vrai, d'être investies totalement dans les actes que nous avons à habiter pour que la poésie de l'aventure puisse être partagée.

Cela ouvre là un champ de réflexion aux questions organisationnelles nombreuses et aux réponses multiples, dont nous nous occuperons bientôt...

La Voix du Bateau

La métamorphose du spectacle passe aussi par la voix. Celle du bateau, que nous réécrivons et que nous étoffons. C'est Brigitte, notre chère voisine de ponton, qui la porte. Studio improvisé, dans le ventre du Kaïros.

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Là, c’est un duo que nous enregistrons. Philippe, assis aux côtés de Brigitte, sur la banquette du carré qui devient couchette le soir. Brigitte, en confiance, peut alors offrir sa voix, au rythme du corps de Philippe chef de choeur, qui lui donne son mouvement, celui de l’onde vibratoire.

Le moment venu du Regard Extérieur

Après plusieurs mois de travail sur le spectacle, pour nous saisir de notre matière personnelle, comprendre nos enjeux et dessiner notre histoire, nous avons senti que le moment était venu d'intégrer à l'aventure un Regard. Car on avait atteint les limites d'être à la fois dedans, et dehors. Notre proposition, que nous avions présentée pour la première fois à Saint Mandrier en juillet, avait besoin d'être regardée, confrontée, mâchée, transformée.

Mais pas par n'importe qui. Par quelqu'un de confiance, dans les mains de qui nous pourrions déposer notre spectacle à la classification fragile, sans avoir peur qu'un autre s’en empare et qu'il prenne une direction que nous ne désirions pas prendre. Du théâtre ? Non. Une certaine théâtralité oui. Non-verbal. Du mime ? Non. De la danse, du jonglage. Un chemin par le corps où on ouvre les portes pour que les intentions surgissent. Un travail dans le détail où l'artiste est un artisan qui façonne sa matière. Un travail où la sauce monte par les actes qui s'accumulent.

« Pas d'éjaculation précoce ! L'état viendra de lui-même...»

Evidemment, c'était lui que nous devions appeler ! Philippe Ducou. Pour aller plus loin dans l'essence du spectacle et ne pas être dans l'illustratif. Et avec son postulat de base : « je suis là pour vous accompagner ». Quel nom cela porte ? Metteur en scène ou chorégraphe ? « Non, c'est votre matière, votre écriture ». Regard extérieur ? « Oui c'est ça, mais cette formulation sera peut être mal comprise. Disons : regard artistique ». Un regard généreux, qui vient modeler là où c'est nécessaire et organiser là où il y a besoin.

Prise de conscience soudaine : le monde du spectacle vivant manque de ce rôle, qui fait cruellement défaut dans cet univers où la voracité égotique de metteurs en scène en mal de reconnaissance peut facilement avaler des pièces qui ne leur appartiennent pas. Réflexion à suivre...

Avec le Regard Artistique du spectacle sur voilier donc, on a touché l'autre côté du miroir, cet espace de l'ailleurs qui ouvre sur l'imaginaire poétique et amorce les possibles . En précisant le travail, geste après geste, on déjoue le figé rassurant pour faire d'« Entre deux Rives » un spectacle vivant. Et à force de modelage, nous avons consolidé le squelette de la pièce, solide désormais, sur lequel on peut compter.

Philippe est ainsi entré dans notre histoire, que nous lui avons confiée, et qu'il a malaxée, étirée, coupée. Jeu, son, scéno, tout y est passé... Et c'est amusant de remarquer qu'en lâchant, en toute confiance, le Regard nous a menées au plus près de l'origine du projet, et de l'essence de ce qu'on voulait fabriquer. Sans ce Regard, jamais nous ne serions allées aussi proches de nous mêmes.

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Demain, nous larguons les amarres

Coline et Rémi rejoignent l'embarcation. Ils arrivent frais, et joyeux de participer à l'aventure, heureux de nous soutenir, et excités à l'idée de naviguer, eux qui s'apprêtent à traverser l'Atlantique à la voile !

Coline est en charge de la Route, elle va donc nous mener jusqu'à Sainte Maxime, où nous devrions arriver 3 jours et 2 nuits plus tard. Le dernier filage terminé, il est plus que temps de tout ranger, de démonter le décor, pour remonter nos voiles et être prêts à quitter le port encore endormi à l'aube demain.

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Grand-voile remise, Génois également, Ancre aussi. Coffre nickel, table à carte dégagée, sacs calés. Pour Coline et Rémi, c'est l'échauffement, parce qu'ils n'ont pas fini de monter, démonter, monter, et démonter encore... Précieuse présence que les bénévoles ! Là aussi, un chantier de réflexion s'ouvre, autour de la place des bénévoles dans le projet, de leur intégration, et de leur condition. Un chantier que cette expérience nourrira, mais dont nous remettons la formalisation à plus tard, après la Deuxième.

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Trois jours plus tard donc, après un arrêt à Porquerolles et un autre au Lavandou, nous arrivons de nuit à Sainte Maxime, dans le Golfe de Saint-Tropez. Une bonne douche et une clairette de Die plus tard, on dort déjà. Et déjà, on se réveille. Pour aller rencontrer nos hôtes, et nous préparer pour jouer le lendemain lors des journées du Patrimoine.

Et c'est avec un peu de surprise et beaucoup de plaisir que nous sommes si bien accueillis par la Capitainerie et toute l'équipe municipale, heureux visiblement de nous recevoir. Une salle pour nous échauffer, une place de port accessible, des filages possibles... Nous sommes aussi intégrés et bienvenus aux événements que la ville organise pendant notre séjour, chaque fois l'occasion de découvrir, se rencontrer et échanger. Ainsi notre route a croisé celle des personnes qui animent la culture de la ville : Anne-Catherine de la Noix, Marie-Françoise Botello, Jean-Loup Bonnefoi et Jehanne Arnaud. Ainsi que celle du Maire Vincent Morisse. Des rencontres aussi chaleureuses que codées, stratégiques et importantes, pour pouvoir envisager un morceau d’avenir commun.

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Et parmi ces rencontres, il y a aussi Jean François, qui assiste, malgré lui, à nos répétitions. Notre voisin de ponton... Mais chance, il est content, et photographe ! Et se propose de faire les images que nous n'aurions pas pu avoir, en l'absence de notre photographe officiel.

“L’instant magique”

Comme à chaque rendez-vous important, les heures passent plus vite. Nous y voilà déjà. La musique commence...

« Merci pour cet instant magique », un mot de “Michel”, dans le livre d'Or.
On transpire encore du voyage traversé, des gouttes d'aventure perlent sur nos tempes lorsqu'on reçoit les regards et les merci de ceux qui semblent être partis avec nous.


Photos : Renaud Menoud et Jean François Roucou
Texte : Flore Viénot

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