Les Maternelles du Brusc traversent l'Atlantique
A l'école maternelle du Brusc, une centaine d'enfants a fait l'expérience d'une traversée en mer. Pendant 3 jours, avec le Parcours sensoriel et les pirates pacifistes, nous avons habité l'école, et intégré la thématique de l'année de l'établissement : l'univers marin et sa protection.
Plongée dans les questionnements d'un projet pédagogique en pleine co-construction.
Jour 1
Ce matin là, nous nous réveillons tendues, comme un jour de Rentrée. Il est 6h30. Après un saut dans l'eau salée pour un réveil sans transition et une tasse de thé bue en vitesse, on file prendre la navette de notre île des Embiez. Direction le boxe, à 30 minutes de là, pour récupérer notre Parcours sensoriel.
Aujourd'hui, nous retournons à l'école. Il faudra arriver à l'heure. Non pas pour nous asseoir sur les bancs, mais pour installer notre Parcours, notre décor et nos ateliers, et faire vivre l'aventure d'une traversée en mer à une première classe dès l'après-midi.
Nourries par notre première expérience avec les élèves d'une classe de CE2 à Clichy en région parisienne, et munies de nos outils pédagogiques construits à cette occasion avec l'institutrice, nous avons établi le programme et les faisabilités : les enfants viendront avec nous par petits groupes, et pendant que, chacun leur tour, ils passeront sur le Parcours, les autres passeront par les ateliers thématiques que nous installerons. En « autonomie ». Mais quelle marge d'autonomie chez l'enfant de 4 et 5 ans ?... Nous avons du mal à le savoir. Très inégal probablement, en fonction des petits...
Les ateliers que nous proposons en dehors du parcours : nœuds d'amarrage, coloriages d'animaux marin, lancés sur cibles (pour être un bon pirate pacifiste, il faut être habile !), jeu du Memory de la mer, écoute sonore. Beaucoup de choses... Aurions-nous peur du vide ?
Enfin, nous arrivons à l'école à l'heure dite. La directrice est là pour nous accueillir, les institutrices dans la court nous saluent. « Vous êtes Fanny et Flore ? Bienvenues ! ». Il semble que nous soyons attendues, c'est agréable... Les regards curieux font lever les petites têtes sur notre passage, et paraissent demander « c'est vous ? ».
« Voici la salle, installez-vous, et si besoin, je suis à côté ». Nous voici donc dans ce qui sera notre salle pendant les 3 jours à venir. Ca y est, la métamorphose opère, nous devenons pirates pacifistes, et nous faisons nôtre cette grande salle qui respire l'enfance et la créativité.
Une institutrice ouvre la porte. « Je viens vous voir pour organiser le roulement avec chaque classe ». Elle prend un bout de papier, qu'elle griffonne des mots qu'elle prononce. « 4 classes, 1 par demi journée. Vous pourriez prendre 6 élèves en même temps, pendant 30 minutes, avec la présentation de 15 minutes que vous avez prévue au début en classe, de 8h40 à 11h30... Voilà comme ça, ça va rouler ». Ok, elle sait ce qu'elle dit. Nous voilà intégrées dans le timing serré du temps de l'école. Montre en main, c'est parti...
2h30 plus tard, tout est fin prêt. Un dernier regard dans le miroir pour vérifier que nous sommes bien devenues de vrais pirates pacifistes, et voilà que la cloche sonne.
Nous ouvrons la porte de la première classe et pénétrons dans leur univers. Nous nous présentons et tentons de capter leur intention en même temps que leur intérêt, et de comprendre à qui nous avons à faire...
Attachés à la ligne de vie, le groupe des « jaunes » monte à bord de notre bateau. Ensemble, nous traversons les dangers de la court, les obstacles des couloirs et les intempéries. Voilà, nous arrivons aux portes de l'univers marin. De l'autre côté, là, c'est un autre monde. Ce n'est plus la salle qu'ils connaissent, mais l'océan. « Ecoutez, doucement, vous entendez déjà la mer... ». Calmement, protégés par leur gilet de sauvetage, ils pénètrent dans ce nouveau monde où les attendent le Parcours et les ateliers...
L'après midi se termine. Autour d'une petite bière, c'est l'heure du débriefe et des questionnements.
1. Les ateliers et notre place d'artiste, en lien avec les institutrices
A quoi servent chaque atelier ? Quelle cohérence ? Sont-ils tous utiles ? Parfois ne nous servent-ils pas surtout à occuper les enfants pendant que nous sommes affairées à en accompagner d'autres sur le Parcours ?
Que faire de ces ateliers pour qu'ils puissent en profiter encore plus, à 100%, et qu'ils en ressortent grandis ? Comment sur ce point collaborer pour de bon avec les institutrices, sans essayer de se substituer à elles ? Quelles connaissances nous pouvons assumer de leur apporter, en plus, ou autrement, que les institutrices que nous ne sommes pas ?
Une évidence : il y a trop d'ateliers pour trop peu de temps avec eux. Et comme nous manquons de temps, nous subissons la facilité de la logique du gagnant / perdant, dans laquelle pourtant nous ne voulons pas aller. Là, ils faut qu'ils « réussissent » avant de passer à l'atelier suivant, comme le gage d'une « récompense ».
Pourtant, ce que nous cherchons à partager avec eux est de prendre le temps de déguster la découverte, en sortant justement de la logique de résultat. Leur offrir une autre porte sur le monde (celle que nous pouvons leur offrir car elle est nôtre) sans dénigrer celle qu'on leur offre à l'école. Comment faire ? Collaborer au plus près avec les enseignants, évidemment !
Concrètement, pour une plus grande coopération sur la journée avec les institutrices, une piste : nous, nous restons sur le Parcours, car il y a déjà beaucoup à faire et à apprendre. Quant à l'institutrice, elle pourrait travailler sur les ateliers que nous lui donnons clés en main, à enrichir ensemble, en fonction des envies et des besoins.
2. Le Parcours sensoriel
En le créant, nous avons pensé le Parcours sensoriel comme un moment solitaire, centré sur les sensations de l'enfant, dans la découverte sensible. Le but : développer le sens de la découverte du monde qui nous entoure et du milieu dans lequel nous évoluons, par le corps, en retirant le sens habituellement prédominant : la vue.
Mais est ce possible avec les tout petits ? Est ce même souhaitable ? N'est pas en contradiction avec ce qu'ils sont à cet âge là ?
Outre le fait qu'enlever la vue peut générer des angoisses, ne sont-ils pas à un moment de leur vie où l'expérience collective leur est préférable, et le sens important ? Car l'espace spontané du corps, ils y ont déjà accès largement, bien plus que les plus grands. Ils ont encore cette capacité à être à 100% dans leur bulle de sensations. L'enjeu pour eux serait donc des les emmener à regarder à l'extérieur d'eux-mêmes. Faudrait-il donc plutôt ancrer l'aventure physique dans du concret, par le biais d'une histoire par exemple racontée tout au long du Parcours ?
Cet après midi là, les yeux ouverts, l'exercice change, et l'intérêt se décale. Nous les faisons s'accompagner sur le Parcours, en groupe. D'autres questions viennent alors : quelle conscience du groupe peut-on avoir à 4 ans ? Ont-ils accès à leur individu ? Au groupe ? Comment apporter de la coopération dans le jeu ? Est ce judicieux ? Doivent-ils d'abord se construire individuellement ?
On note dans notre carnet dans la rubrique « à caler dans l'agenda » : « enquêter sur la psychologie de l'enfant ».
3. Le bilan de fin de clôture d'expérience
Puis on en vient au bilan que nous avons inscrit au programme de ces demi-journées.
Quel bilan possible avec des tout petits ? Quels types de questions pouvons nous poser ? Nous remarquons que les questions ouvertes sont complexes, les questions fermées pas très intéressantes, et les questions à choix multiples laissent peu de surprises : ils choisissent généralement la dernière proposition évoquée.
Demain, nous pourrions essayer de leur demander :
> Qu'est ce que tu as préféré ?
> Qu'est ce que tu n'as pas aimé ?
> Quel passage retiens-tu?
> Qu'as tu vu, senti ?
2eme bière.
Demain, on change la configuration :
> on supprime les ateliers
> on fait l'écoute sonore 3 par 3, au casque, pour être attentif pendant 6 minutes, avec ses oreilles !
> pour le Parcours, chacun aura un rôle : le vent, l'eau, l'accompagnateur, l'observateur, le technicien, le parcoureur. Un rôle tournant, sur le mode coopératif.
Car ce qui nous paraît important et qu'on doit garder à l'esprit : pour construire le monde de demain, il faut apprendre à coopérer. « Protéger » les océans ne peut se faire qu'ensemble.
Dernière gorgée de bière.
C'est quand chacun a un rôle (qui tourne) que nous pouvons donner le meilleur de nous-mêmes, et ainsi donner le maximum au collectif.
Aller, au dodo.
Jour 2
Nous revenons chez nous, enfin, chez eux.
Au programme :
> une écoute collective de la carte postale sonore dans l'annexe gonflée, au casque
> sur le Parcours, une exploration individuelle puis en coopération avec un changement de rôle.
> quant à notre présentation du début, nous mêlerons petite démonstration de danse et de jonglage, pirate pacifiste, protection des océans et aventure.
> à la fin de la matinée, on dira également un mot de bilan avec toute la classe : retour sur l'écoute sonore, sur l'aventure et sur l'entraide. Aidées par les institutrices, au top sur ce qu'on peut attendre des petits pour un bilan...
« - C'est qui le capitaine ?
- Nous !
- Vous ? Mais vous êtes des filles... »
Le questionnement d'une charmante petite, à la suite de notre présentation.
« - Pourquoi une fille ne serait-elle pas capitaine ? Lui demande-t-on alors.
- Je sais pas...
- Chez nous, les filles, comme les garçons, sont capitaines. Et il n'y a pas qu'un capitaine : on tourne ».
Au fil des jours, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas là pour rien, et que notre travail peut être utile, dans plusieurs domaines qui nous tiennent à coeur et qui se croisent sur le Parcours : la découverte du monde par le corps, la motricité, la protection des océans, la coopération, et les questions de genre.
Encore une fois, cette journée nous offre de nombreuses questions.
1. Sur la coopération
Nous nous rendons compte qu'ils sont trop petits pour faire le vent et l'eau, et qu'il y a déjà beaucoup à faire sur la coopération à deux...
Les enjeux pour nous :
> proposer à ceux qui osent moins, leur ouvrir un espace possible sans les forcer.
> ne pas centrer sur celui qui « fait » le parcours, mais donner une importance à tous les rôle, celui de l'aide notamment, essentiel, qui prend soin. Pour valoriser ce rôle, nous pouvons tourner la question : « qui n'a pas encore aidé ? » plutôt que : « qui n'a pas encore fait le parcours ? ».
Sur la question du bilan également, nous leur demanderons s'ils ont préféré aider ou faire le parcours.
2. Sur les consignes
Les rendre nécessaires, et non pas comme quelque chose à appliquer sans comprendre. Et c'est si facile de glisser dans l'injonction un point c'est tout... Avant d'aller dans la salle il faut que chacun mette son gilet de sauvetage. Ce n'est pas pour rien ! Car on pourrait bien couler...
3. Sur la notion de pirate pacifiste
Complexe pour des si petits, et en contradiction avec ce qu'ils apprennent : des pirates... pas méchants ? La liberté, l'expression des désaccords, la dénonciation des injustices... des concepts encore inaccessibles. Mais est-ce tout de même intéressant, pour leur offrir une diversité de points de vue ?
L'enjeu nous apparaît : donner à vivre ces concepts sans les nommer, et aborder simplement la protection des mers, déjà abordée en classe avec les institutrices de toute l'école, ainsi que le vocabulaire de la mer et de la navigation.
Une gorgée de bière.
Demain, nous modifions notre organisation : sur le Parcours en binôme après une exploration solitaire. Après l'avoir expérimenté en avant, ceux qui le sentent peuvent essayer en arrière, puis les yeux bandés. Toujours soutenus par une personne aidante qui prend soin.
Jour 3
La présentation du début est une belle entrée en matière ! Et dans le physique. C'est en ce sens que le mini spectacle est intéressant : se passer au maximum des concepts et des discours, pour entrer le plus directement dans l'expérience et le corps. Nous nous rendons compte que nos grands discours devant les petits sur la liberté, la protection et la coopération sont plus fait pour faire plaisir aux grands et nous rassurer nous-mêmes que ce qu'on nous leur proposons à du sens... Du corps donc, et encore du corps.
Ce que nous voulons par dessus tout : donner concrètement aux enfants un espace de liberté pour explorer avec le corps.
1. Au sujet de la collaboration
Elle devient un de nos objectif que nous poursuivons avec le Parcours Sensoriel. Un enjeu important à leur faire vivre, et non pas à dire (à des tout petits).
La coopération ne va pas de soi. Ils semblent avoir besoin de faire seul. L'enjeu : offrir un espace pour se rendre compte de sa puissance personnelle, tout en ouvrant la porte au faire ensemble. Différent d'avec les plus grands, où l'objectif est d'aller plus loin dans l'expérience sensible et solitaire.
Comment dans ce cadre être attentif à chacun ? Accepter où chacun en est, tout en insufflant une proposition d'aller frotter sa limite. C'est lorsqu'ils se sentent en difficulté qu'ils sont obligés de collaborer, de faire ensemble. Car là, ils ont besoin de l'autre.
Là, nous leur montrons comment on peut être en support de l'autre, comment on peut prendre soin de l'autre. Toute la séance, nous les faisons alors travailler avec le même binôme, pour introduire ce questionnement : comment accompagner l'autre ?
2. Le moment du bilan
Nous essayons le bâton de parole (un coquillage pour les prochains ?) pour s'écouter, oser parler, aller au delà de ce qu'à dit le voisin, dépasser les mots induits par la peur de ne pas être aimé et avoir chacun sa place, et l'espace de dire.
3 jours chargés, qui ont fait faire un bond au projet pédagogique que nous construisons !
Au programme des prochains mois : formaliser le projet en collaboration avec un groupe de professeurs en Rhône-Alpes.
Notre prochain rendez-vous pédagogique : une journée à l'ESPE de Grenoble, pour faire tester le Parcours Sensoriel aux futurs enseignants.
A suivre !
Merci à l'école Maternelle du Brusc et sa directrice Florence Dassonville pour leur accueil et leur confiance qui nous permette de n'avoir qu'une seule envie : recommencer, continuer et aller plus loin !
Photos : Renaud Menoud
Texte : Flore Viénot