Il était une fois, une histoire physiquement vécue...
Nous en sommes sûres maintenant : ce qui nous passionne se situe du côté de la créativité. Et le Parcours sensoriel de la Traversée est un espace qui permet de la développer. Dans le mouvement bien sûr, et dans l’écriture aussi !
Bienvenue dans l’univers de deux classes de 5eme du collège du Village Olympique à Grenoble, avec qui nous avons vécu l’aventure d’un récit qui se construit. Etape 1 : Parcours sensoriel. Etape 2 : écriture.
” -Ils seront les héros de leur propre histoire !
- Ils seront aventuriers, navigateurs, explorateurs…
- …et écrivains.”
L’aventure physique d’une traversée en pleine mer
Pour Lison, professeure de français des 5e3, nous arrivons en conclusion de son travail sur les grandes aventures et les récits de piraterie. Pour Laura, professeure de français de la 5e4, nous avons l’honneur d’ouvrir ce morceau du programme.
Aventurer des Terres Inconnues
Ce qu’on souhaite en venant installer notre univers dans le gymnase du collège et dans les classes des 5e 3 et 4, c’est de leur donner envie à ces mi-enfants-mi-adolescents. Envie d’embarquer pour l’inconnu, d’oser se lancer sans savoir, de prendre goût de se tromper et recommencer. Qu’ils puissent se regarder et se dire : j’ai eu peur, mais je l’ai fait… et c’était drôle.
Cette envie, on peut la partager, parce qu’on s’en nourrit au quotidien.
Dans la salle des profs, on boit un dernier café après nos 6 heures passées à installer le Parcours dans le gymnase. Dans 10 minutes, c’est une aventure nouvelle qui commence, en terre inconnue du Collège du Village Olympique. Et on a peur. Peur de rater, de ne pas tout maîtriser, de nous tromper, de ne pas les accrocher… A un moment donné : stop aux pensées. On y va ! En route…
…Pour une plongée de deux heures dans l’histoire solitaire et collective d’une grande traversée en mer.
Oh! Quelque chose au loin…. Qu’est ce que… Les voilà ! C’est eux ! Les navigateurs…
“Bienvenue à bord. Quittez vos manteaux, vos sacs, vos chaussures et asseyez vous par ici…”
Des “noooon….”, “vas y on va faire quoi là ?”, “ non mais madame j’enlève pas mes chaussures !”
”- et.. fermez les yeux.
- Nonnnn…. ça fait trop peur !
- Madame je supporte pas les yeux fermés !
- Vas-y wesh quand tu dors t’as pas les yeux fermés ?”
Tous les yeux semblent clos, plus un mot qui vole. C’est parti…
“Vous êtes les personnages principaux de l’histoire d’une grande traversée en mer, que vous allez vivre aujourd’hui.
Vous êtes navigateurs-écrivains, des explorateurs, qui doivent rendre compte au monde entier de leurs découvertes.
Ça fait maintenant plusieurs semaines que vous êtes à bord du navire, avec tout un équipage. Se succèdent des moments calmes, paisibles, avec un petit vent et une mer douce et agréable… et des moments violents, où la mer est forte, les vagues énormes… des moments de tempête !
Voilà où vous en êtes, chacun.
Pendant la suite du voyage que vous allez vivre aujourd’hui , prenez soin de toutes vos émotions et vos sensations, soyez attentifs à chaque chose, agréable ou désagréable, forte ou douce… tout est bon à prendre, tout est important. Il n’y pas de bien ou de mal. Et on a besoin de vous pour témoigner du voyage.”
Fanny lance un bout (un cordage de bateau) à une moitié du groupe. “Accrochez vous, embarquez sur mon bateau ”. Ils s’éloignent au loin vers l’espace du Parcours, et avant, dans la salle de préparation.
Un autre bout est lancé, “accrochez-vous, embarquez sur mon bateau !” J’entraine l’autre groupe à contre-courant, dans l’espace de Sieste.
La Sieste : “le but, c’est qu’il n’y a pas de but”
“- Ici, on se laisse bercer par les sons et les musiques, et on a le droit de s’endormir.
- Mais madame c’est quoi le but ?
- Y’en a pas.
- Hein ?
- Le but c’est de ne pas avoir de but. Vivez simplement.
- C’est comme ça que c’était pendant votre voyage ?
- Oui, quand on était en mer, il y avait souvent des moments comme ça, où on avait pas besoin de produire quelque chose, surtout pas même, mais juste de se laisser aller à ressentir. Et c’est vrai que dans la vie quotidienne, et à l’école aussi (surtout), on a rarement cette opportunité de faire sans attente. Alors on vous l’offre”.
Pas simple pour certains de se laisser aller à écouter sans parler… D’autres s’endorment. Allongés, assis, attentifs, rêveurs ou bavards, tous traversent le voyage sonore. S’ouvrent alors des échanges non prévus par le dispositif (!) autour de la mer, du voyage, de l’aventure, du bateau, de l’avion…
“ - L’avion c’est mieux c’est plus rapide ! Dis l’un.
- Non moi je préfère le bateau, parce que sur un bateau il faut savoir se débrouiller par soi-même, et être autonome”, répond une autre.
…
C’est beau l’imprévu.
Le Parcours Sensoriel de la Traversée : vivre chaque sensation
L’expérience en solitaire est notre cap. L’essentiel est que chacun prenne le temps de vivre chaque sensation, de s’arrêter si besoin, d’être rassuré s’il le faut, d’être laissé seul si nécessaire… Fanny est là pour veiller, les mettre dans une disposition à recevoir le voyage, et à observer ces corps qui se meuvent et dont elle s’inspire pour ces propres créations de danse futures…
“Tout ce que tu as vécu, garde le bien en toi, tout va te servir à écrire. Le monde a besoin de ton voyage sensoriel. Tu vas le partager. Alors Flore va t’accueillir et va t’aider à poser des mots”.
Jeter ses sensations sur le papier
Pas facile cette étape…
Mettre des mots, et les écrire ! Pour certains, ça parait facile. Pour d’autres, ça bloque.
“ - Mais je sais pas moi ce que j’ai ressenti !
- Ferme les yeux, et revis la chose depuis le début, depuis qu’on te bande les yeux…
- Ben… J’ai eu peur, je voyais rien… Et puis j’ai marché sur un truc bizarre…
- C’était comment ?
- C’était mou, froid…
- C’était agréable ?
- Ben… Oui et non. C’est bizarre. J’ai ressenti deux choses en même temps : de la peur, et aussi ça me rappelait la mer que j’adore. Trop bizarre…
- Ok, super, tu peux écrire tout ça, c’est intéressant. On ne demande pas forcément de belles phrases, juste des mots jetés sur le papier. Des onomatopées, des dessins aussi… Tout ce qui te vient. Et dis toi que si ça te vient, c’est que c’est forcément juste”.
De l’expérience physique à l’écriture
Voilà venu le temps de découvrir le Parcours avant de se quitter.
“- Noooooon…. C’est ça ?
- J’imaginais ça beaucoup plus grand ! Et pas du tout comme ça…
- C’est fou hein ? En enlevant votre vue, qu’on utilise normalement pour découvrir ce qui nous entoure, vous avez mobilisé d’autres capteurs. Des capteurs qui viennent titiller votre imagination…
- O la la… De voir moi ça m’a gâché mon rêve !”
L’aventure de l’écriture
Quelques temps plus tard, nous revoilà au Collège. Dans un navire nommé CDI. Laura, professeure des 5e4 nous avait prévenues :
“écrire pour eux, c’est quelque chose d’inatteignable, réservé à une élite. Ils peuvent être bloqués par cette image qu’ils ont de l’écriture”…
Ok. On garde ça en tête.
Les voilà qui arrivent.
“- Nos routes se recroisent donc ! Nous voilà à nouveau à bord d’un navire, le voyage continue… Et aujourd’hui, on va écrire. Ecrire le brouillon de l’histoire d’une aventure en mer.
- Quoi ? On va écrire un livre ?!
- Oui. Vous allez voir, c’est faisable. On ne va pas faire de grandes phrases. Encore une fois, vous allez poser des mots, tout simplement. vous pouvez barrer, raturer, gommer… A la fin de ces deux heures, vous aurez le squelette de votre histoire, et vous la continuerez en classe. C’est parti…”
On construit le socle du récit…
… Et on entre dans le vif de l’histoire
“Maintenant, on imagine et on se sert de ce qu’on a vécu… L’histoire commence ainsi :
L'équipage était au complet sur le voilier, bien loin des côtes depuis maintenant plus d'une semaine.
“- Mais madame ! J’ai tiré comme personnage une petite fille ! Mais je suis pas une fille !
- C’est pas ton histoire, c’est celle de ton personnage. Mets toi dans la peau de cette petite fille pour raconter son histoire.
- Noooooon…. Je suis pas une fille !
- T’inquiète, ça va pas te faire devenir pour de vrai une petite fille… Et puis, c’est l’occasion de voir ce que ça fait d’être une petite fille !”
Puis :
À ce moment-là, le fanal (1) suspendu à une chaîne qui éclairait la cabine accomplit un violent arc de cercle et éclata contre le plafond. Avant que l’obscurité totale se fasse, […] eut encore le temps de voir un équipier plonger la tête la première par-dessus la table.
Dans la vague lueur de la pleine lune balayée par des nuages, […] distingua sur le pont un groupe d’hommes qui s’efforçaient de mettre à l’eau un canot de sauvetage. Il se dirigeait vers eux pour les aider, quand un choc formidable ébranla le navire. Une vague gigantesque croula sur le pont et balaya tout ce qui s’y trouvait, les hommes comme le matériel.
Malgré la tempête de la veille, il n'y avait que l'embarcation qui était endommagée. Ils n'avaient alors plus qu'à se laisser aller au gré des flots, en espérant que les vivres ne viendraient pas à manquer...
(1) Grosse lanterne ( lampe) servant de signal
“ - Là, c’est le moment de décrire ce que le personnage ressent, alors qu'il flotte au gré des flots. Une description sans la vue, à partir de votre propre expérience du Parcours Sensoriel”.
- Madame je me suis trompée mais j’ai pas de blanc…
- Et bien barre !
- Hein ? Non… C’est noté ?
- Moi je note rien du tout non. Et puis c’est ton brouillon, t’as le droit de barrer, rater, recommencer !”
C’est le moment aussi pour certains de vivre ou revivre quelques sensations avant de passer à l’acte des mots.
Puis :
Au petit matin, au loin, quelque chose apparut soudainement. Oui... On pouvait deviner la côte ! Une côte, que personne sur le voilier ne put identifier. Mais ce qui était sûr, c'est qu'ils s'en approchaient... Et voilà qu'ils posaient pied à terre...
“- Maintenant, c’est une description de l’arrivée sur la côte du personnage, la découverte visuelle du monde tout juste découvert. Ici, c’est à votre imagination de jouer…
- je sais pas madame…
- Imagine ce que tu veux.
- Je sais pas…
- Qu’est ce que tu connais comme endroit sur la côte ?
- L’Algérie !
- C’est comment là bas, sur la côte ?
- Ben y a du sable, des immeubles, des gens, des voitures…
- Est ce que tu as envie que ton histoire continue ici ? C’est toi qui décides. Tu peux tout.
- Oui, ça peut être bien.
- Alors vas-y, décris ce que vois ton personnage en arrivant là”.
Puis :
Tout à coup, une pluie torrentielle se mit à tomber.
A vos dés ! Jetez le 3 fois, vous tomberez sur 3 péripéties. Imaginez alors comment votre personnage passe de l’une à l’autre.
Enfin : la fin de l’histoire !
“-Ah mais elle est pas finie ? !? Moi mon personnage est mort… Je fais commment ?
- Et bien tu reprends et tu le fais mourir un petit peu plus tard… Ou tu termines ton histoire sans lui, pourquoi pas ?”
Un groupe s’attèle à une fin ouverte, l’autre une fin fermée.
Et chacun choisit le ton de la fin de l’histoire. Triste ? Heureuse ? Inquiétante ? Désespérée ? Drôle ? Étrange ?
Déjà deux heures sonnent. On a le cerveau rempli de personnages et d’histoires sortis de la tête de ces mi-enfants-mi-adolescents. Des histoires vécues en partie, et complètement imaginées par ailleurs. Ça bouillonne… Mais ça sonne. On se quitte, mais après les vacances, on va recevoir leurs histoires finalisées : bien hâte de nous plonger dans leur univers…
Lessivées. Tout comme Lison et Laura avec qui nous avons partagé cette jolie aventure.
Et c’était une belle première pour nous que d’embarquer dans l’écriture une petite troupe après l’expérience du Parcours. Une première, à laquelle on souhaite voir se succéder une deuxième. Et pour cette deuxième, nous continuerons un peu plus encore à sortir de notre peau de Fanny et de Flore pour devenir de vrai personnages de l’histoire… A creuser.
Texte : Flore Viénot
Photos : Renaud Menoud